vendredi 9 juillet 2010

En réponse à Fawzia Zouari

Là-bas, au fin fond des steppes, au Centre-Ouest de la Tunisie, dort le village de Doghra, un petit village habité par les « hnedra », une branche de la fameuse tribu des « Frachich »[1]. Reposant dans le giron parfumé de la montagne Chambi[2], entouré par des vallées ornées de figuiers de barbarie et des haies d’acacia et de lauriers, le village semble, à première vue, immobile et figé. Mais cette impression d’immobilité cède rapidement le terrain aux murmures et aux frissons de la vie quotidienne. Ces murmures sont peu ordinaires pour les visiteurs et sont même inaudibles par les oreilles des citadins habitués aux klaxons et au vacarme infernal des villes. Dès que l'on écoute bien, on peut distinguer le mugissement des vaches, le retentissement des cris joyeux des enfants et… le bruit d’un rotor de parabole. Oui, le bruit d’un rotor de parabole, car plusieurs ménages du village sont équipés d’électricité et plusieurs familles ont désormais leurs paraboles avec un large éventail de chaines satellitaires.

En se baladant dans les allées de ce village, on est accueilli par le regard, à la fois inquisiteur et rassurant, des villageois. Les jeunes filles, aux grands yeux verts, portent des jeans et n’ont rien à envier à leurs amies citadines. Peut-être, ces jeunes filles là n’ont-elles jamais écouté parler de jeune Afrique, mais elles sont au courant de ce qui se passe dans le monde.

Le soir, les paysans, le Cheikh du village, le directeur de l’école, se réunissent tous autour d’une table basse, pour siroter du bon thé vert et débattre des questions de la moisson et des dernières nouvelles du monde. Et si la perception des agriculteurs se limite à la dualité du bien et du mal, et s’ils tendent à diviser le monde en deux axes, l’axe des arabes et celui de leurs ennemis, les plus instruits sont plus sensibles aux nuances de l’actualité nationale et internationale. En leur posant la question « C'est où, la France ? », ils se précipitent tous pour prendre la parole, car chacun veut raconter son histoire avec la France, car chacun à sa France à lui. Par respect, c’est cheikh Brahim, le « Omda »[3] du village, qui commence. Et c’est non sans avec émotion que l’octogénaire, se souvient de la bataille de Kasserine[4]. À cette époque là, la vie était difficile, et les « Francis »[5] serraient l’étau autour des « Frachich» et des autres tribus résistantes. « Et pourtant, mon père et mes oncles, parvenaient à cacher les carabines des fellaga[6] algériens dans les sacs d’orge et de foin. Paix à leurs âmes, ils furent tous de braves hommes ! », Conclut, le Cheikh, la voix enrouée. Si Salah, le directeur de l’école, a, quant à lui, connu la France à travers les récits fabuleux de son oncle, un ancien combattant dans l’armée française en Indochine. « Am Ahmed, le boucher du village, est le plus attaché à la France, car son fils Amin y réside. Amin est la fierté du village. C’est un étudiant brillant qui a, à force de patience et d’abnégation, décroché une bourse pour continuer sa thèse de doctorat en cotutelle à l’Université Jean Moulin à Lyon. « Amin rentre dans deux semaines, ça sera la fête dans le village, et vous êtes tous conviés à manger du bon couscous à l’agneau !», annonce le père comblé. « Moi, j’étais plutôt déçu par la prestation des bleus dans le mondial" intervient Saber, un jeune berger,« ils étaient totalement hors sujet !, je crois que les pays bas vont remporter la coupe, qu’en pensez-vous ? ». Et c’est sur cette note que, que la conversation prend une tournure footballistique et que chacun commence à défendre ses pronostics.

C’était là une journée dans un village au fin fond de la Tunisie, et c’étaient là les réponses des villageois à la question « C'est où, la France ? ».

Hafawa REBHI
[1] Tribu du centre ouest de la Tunisie, pour en savoir davantage voir : « Hédi TIMOUMI : paysanerie tribale et colonialisme colonial (l’exemple du Centre-Ouest tunisien) thèse pour le doctorat de 3ème cycle, Nice, 1975. »,
[2] Le point culminant de la Tunisie (1 544 m).
[3] Chef de la « imada » ; la « imada » est la plus petite division administrative de la Tunisie, elle est assimilée à un lieu-dit ou à un secteur.
[4] Épisode de la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord, bataille entre les forces américaines et allemandes.
[5] Français en dialecte tunisien.
[6] Combattants tunisiens et algériens ayant lutté contre la colonisation française.